L’autorité et l’infaillibilité des conciles œcuméniques ( partie II )
Mgr Basile (KRIVOCHEINE)

IV. Convocation des conciles œcuméniques

Il est nécessaire de souligner le caractère charismatique extraordinaire des conciles œcuméniques, qui les différencie des conciles locaux des évêques. Ces derniers, en accord avec les saints canons (canon apostolique 37; canon 5 du Ier concile de Nicée ; canon 19 du IVe concile œcuménique ; canon 20 du concile d’Antioche , etc.) ( 5, 6,7) doivent être convoqués régulièrement et systématiquement deux fois ou – en vertu des décisions plus tardives (canon 8 du VIe concile œcuménique, canon 6 du VIIe concile œcuménique) – une fois l’an ; il n’existe par contre pas de canon qui prescrive une convocation périodique des conciles œcuméniques, et l’histoire nous montre que ces conciles se réunissaient très rarement, seulement aux moments de crises dans la vie de l’Église.

Et c’est naturel : les conciles œcuméniques n’étant pas des « parlements ecclésiastiques » convoqués régulièrement et représentant juridiquement l’Église dans sa gestion et son administration, mais plutôt des réunions extraordinaires, convoquées par le Saint Esprit aux moments où la vie et le bien de toute l’Église l’exigent.


V. Immuabilité des résolutions conciliaires

Sans aucun doute possible, les décisions dogmatiques et canoniques des conciles œcuméniques sont infaillibles, elles conservent leur immuable validité et autorité et ne peuvent être abrogées ni même modifiées avec le temps ; car l’Esprit Saint, les ayant inspirées, ne peut se contredire ni se désavouer. La continuité également représente un trait caractéristique de la vie de l’Église et de sa tradition vivante. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne les décisions théologiques des sept conciles œcuméniques. Cependant, cette immuabilité des décisions conciliaires ne doit pas être comprise dans un sens trop littéral ou formel. Ainsi, nous devons reconnaître que l’infaillibilité des conciles concerne tout particulièrement leurs décisions dogmatiques, mais non pas toutes les discussions qui ont eu lieu au cours des réunions, bien qu’il soit nécessaire de toujours tenir compte de ces discussions pour bien comprendre dans un esprit patristique, les décisions elles-mêmes (ὅροι). Qui plus est, l’histoire de l’Église – que nous ne pouvons ni ne devons ignorer – témoigne du fait que même les décisions théologiques des conciles œcuméniques (sans parler de la législation canonique) étaient modifiées, complétées, adaptées aux circonstances, abandonnées même par des conciles postérieurs qui étaient pleinement conscients qu’agissant ainsi ils « rénovaient » (ἀνανεοῦμεν) les décisions antérieures tout en demeurant fidèles à leur contenu dogmatique et spirituel.

En guise d’exemple classique, citons l’acte du IIe concile œcuménique qui a retranché, dans le Symbole de foi nicéen, l’expression « c’est-à-dire de l’essence du Père » (τουτέστιν ἐκ τῆς οὐσίας τοῦ Πατρός) et « Dieu de Dieu » (Θεὸν ἐκ Θεοῦ). Si cette deuxième omission peut être expliquée par le désir d’éviter une répétition inutile, car un peu plus loin le texte dit « vrai Dieu de vrai Dieu », la première omission de « l’essence du Père » avait plutôt pour but d’éviter l’expression qui pouvait être faussement interprétée dans l’esprit sabellien et était superflue, car l’expression « consubstantiel » (ὁμοούσιος) était suffisante et avait plus de précision. En même temps, le IIe concile a essentiellement développé le Symbole de Nicée par un enseignement plus détaillé sur le Saint Esprit, l’Église, etc. Le IVe concile œcuménique a agi de même avec ses formules christologiques plus développées que l’on ne peut trouver, de manière explicite en tout cas, dans le Symbole de foi de Nicée-Constantinople.
Cette façon d’agir, chacun le sait, a rencontré une opposition opiniâtre de la part des monophysites qui dans leur conservatisme formaliste ont rejeté, du moins pendant les premières décennies après le concile de Chalcédoine, le Symbole de la foi du IIe concile œcuménique, le considérant comme une innovation arbitraire par rapport au Symbole de Nicée (« La foi des 318 Pères » était le slogan célèbre des monophysites) (8) . Nous devons toutefois ajouter que le IIIe concile œcuménique a formellement interdit toute modification ultérieure du texte du Symbole de la foi (dans son canon 7). Ceci nous montre que les conciles œcuméniques ont non seulement le droit de compléter les décisions précédentes, mais également d’interdire toute modification, même textuelle, dans leur formulation.

En guise d’exemple de modification des décisions canoniques, nous pouvons citer les décisions susmentionnées du canon 8 du VIe concile œcuménique et du canon 6 du VIIe concile œcuménique sur la périodicité de convocation des conciles locaux ; au lieu de les convoquer deux fois l’an comme cela a été décidé par les conciles antérieurs (37e canon apostolique, canon 5 du Ier concile de Nicée, canon 19 du IVe concile œcuménique et canon 20 du concile d’Antioche), ils stipulent la convocation de ces conciles épiscopaux une seule fois l’an. Ils motivent leur décision par les conditions de leur époque (mauvaises routes, insuffisance de moyens pécuniaires, invasions barbares, etc.) qui rendent difficile la convocation des conciles à un rythme plus fréquent. De cette façon, ils établissent le principe suivant lequel les décisions canoniques, même promulguées par un concile œcuménique, peuvent être adaptées aux besoins de l’époque. Le VIIe concile œcuménique emploie une expression extraordinaire pour justifier une telle modification dans l’ordre canonique : « Τοῦτον οὖν τὸν κανόνα καὶ ἡμεῖς ἀνανεοῦμεν [Nous aussi, nous renouvelons ce canon]. » Nous voyons donc que, dans la conscience des Pères du VIIe concile œcuménique, leur décision n’était pas une modification d’une décision plus ancienne, mais en était un renouvellement.

Telle devrait être l’attitude orthodoxe authentique face à la question de l’autorité des conciles œcuméniques : fidélité à leurs décisions quant à leur esprit et leur contenu dogmatique ; jamais un rejet de ce qui a été adopté, mais, dans des circonstances déterminées, leur « renouvellement », leur développement, même une correction de leur formulation lorsque la conscience conciliaire le trouve nécessaire et utile. Ce n’est pas là une question d’ordre théorique, mais bien au contraire d’un ordre tout à fait pratique, maintenant que l’Église orthodoxe entreprend un dialogue théologique avec les confessions occidentales et surtout avec les Églises « monophysites » au sujet des décisions dogmatiques du concile de Chalcédoine. Ce n’est que dans la perspective susmentionnée que ces discussions ont un sens. Et, par le fait même qu’ils soient prêts de discuter la possibilité de retrouver une foi commune dans les deux formulations christologiques différentes (chalcédonienne et non chalcédonienne) (9), les théologiens orthodoxes ont reconnu qu’il était possible d’interpréter, et même de compléter l’enseignement de Chalcédoine, sans le renier. Le même raisonnement peut également être appliqué aux discussions avec les autres confessions chrétiennes. Cependant, quoi qu’il en soit, les décisions des sept conciles œcuméniques représentent toujours une autorité suprême et immuable et
un trait caractéristique de l’Église orthodoxe (10) ; leur enseignement représente un tout indivisible de la vérité trinitaire et christologique.
Toutefois, dans la question des conciles nous ne devons pas prêter une signification trop particulière et sacrée au nombre de « sept », le mettant en rapport avec les sept dons de l’Esprit Saint, etc., et, par là même, lui conférer une qualité définitive, comme si on ne pouvait plus convoquer de conciles œcuméniques. (De tels essais de « sacralisation » avaient déjà été fait au Ve siècle, lorsque le nombre de « quatre » était mis en rapport avec les quatre Évangiles afin de protéger le IVe concile œcuménique contre les monophysites). De nos jours, l’Église orthodoxe possède la même plénitude de grâce qu’elle possédait aux temps anciens ; elle peut par conséquent, aujourd’hui comme avant, convoquer des conciles œcuméniques et, par la force du Saint Esprit, prendre lors de ces conciles des décisions infaillibles. D’un autre côté, il est plus difficile, pour les orthodoxes, de séparer les conciles plus récents des sept conciles anciens.
Je pense notamment au concile de Constantinople des années 879-880 (confirmation du texte du Symbole de la foi sans le Filioque) et aux conciles hésychastes du XIVe siècle. Bien que formellement, ils n’aient pas encore été consacrés comme « œcuméniques », ils forment un tout organique avec les conciles œcuméniques précédents. En général, le nombre de « sept » est plutôt le minimum et non pas le maximum des conciles d’autorité et d’inspiration divines.

VI. Les Pères des conciles œcuméniques


Une question s’était posée parmi les théologiens orthodoxes : les Pères qui prennent part aux conciles œcuméniques décident-ils en tant que successeurs des apôtres ayant hérité d’eux le pouvoir de lier et de délier, ou bien agissent-ils en tant que représentants de leurs Églises locales qui possèdent la plénitude de la grâce ? La réponse correcte serait qu’ils agissent en cette qualité double simultanément. En tant que successeurs des apôtres par la lignée ininterrompue des ordinations épiscopales, les Pères œcuméniques possèdent la plénitude des dons du Saint Esprit, répandue lors de la Pentecôte, mais ils la possèdent en tant qu’évêques de leurs Églises locales, car un évêque sans Église est inconcevable. Et, de même que l’Église locale est en union avec toute l’Église, les évêques réunis ensemble au concile œcuménique y trouvent la force de parler infailliblement au nom de l’Église une, sainte, catholique et apostolique. Évidemment, ils parlent en accord avec la sagesse de l’Église, toutefois non pas en députés, responsables devant leurs électeurs, mais en tant que messagers du Christ et porteurs de l’Esprit. Ils n’expriment pas seulement les points de vue de leurs contemporains, mais l’« intelligence » de l’Église dès le début et jusqu’à l’avènement du Christ. Et nous pouvons rendre grâce à Dieu qui a « donné une telle autorité aux hommes » (Mt 9, 8).

Extrait du livre
Dieu, l'homme, l'Église
Lecture des Pères
Les Éditions du CERF, 2010, Paris
Patrologie et Théologie: Site de Archevêque de Bruxelles
et de Belgique

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Notes:
5. Voir Les Constitutions apostoliques, t. III, Paris, Éd. du Cerf, coll. « Sources chrétiennes » n° 113, 1987, p. 287 (NdR).

6. Pour le texte des canons des conciles œcuméniques, voir P.-P. JOANNOU, Discipline générale antique (IVe-IXe s.). Les canons des conciles œcuméniques (IIe-IXe s. ), Rome, Grottaferrata, 1962 (NdR).

7. Voir P.-P. JOANNOU, Discipline générale antique (IVe-IXe s.). Les canons des synodes particuliers, Rome, Grottaferrata, 1962 (NdR).


8. Sur ce sujet, voir notamment J. MEYENDORFF, Unité de l’Empire et divisions des chrétiens. L’Église de 450 à 680, Paris, Éd. du Cerf, 1993 (NdR).

9. Le dialogue théologique entre orthodoxes chalcédoniens et non chalcédoniens débuta de manière non officielle dès 1964, et de manière officielle en 1985. Il aboutit à reconnaître que les deux familles d’Églises confessent la même foi christologique, malgré des formulations différentes. Voir A. BELOPOPSKY et C. CHAILLOT (éd.), Towards Unity. The Theological Dialogue between the Orthodox Church and the Oriental Orthodox Churches, Genève, 1998 (NdR).

10 - Voir Mgr KALLISTOS (WARE), L’Orthodoxie. L’Église des sept conciles, Paris, Éd. du Cerf, coll. « Le Sel de la Terre », 2002 (NdR).

Rédigé par l'équipe de rédaction le 31 Mai 2014 à 23:00 | 1 commentaire | Permalien



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