La Russie éternelle, ses saints et ses démons !
Carol SABA

La Russie fait couler beaucoup d'encre ces temps-ci. En France, en particulier, en raison de ce nouveau centre spirituel et culturel russe qui vient d'être inauguré le 19 octobre dernier, à l'emplacement même de l'ancien siège de Météo France. Le complexe qui appartient à l'État russe devait être inauguré par les deux chefs d'État, français et russe.

Mais les tensions et tiraillements diplomatiques entre les deux pays ont réduit la voilure de la représentation officielle de cet évènement. La France, dans une innovation au niveau du protocole diplomatique, s'est interrogée publiquement par la voix de son président sur l'opportunité de la venue à Paris, dans ce contexte, du président russe qui a alors décidé de bouder.

La nouvelle cathédrale russe dédiée à la Sainte Trinité, qui fait partie des bâtiments de ce complexe avoisinant la tour Eiffel, devrait être dédicacée par le patriarche Cyrille de Moscou en décembre prochain. Elle trône désormais avec ses cinq bulbes dorés sur les quai Branly, pas loin de l'endroit où le président Jacques Chirac a installé le musée des arts et civilisations d'Afrique, d'Asie, d'Océanie et des Amériques qui porte désormais le nom de l'ancien chef d'État.

L'ensemble constitue ainsi une nouvelle attraction touristique, russe cette fois-ci, sur la carte des monuments de Paris. Les relations franco-russes ont toujours été, depuis bien avant les campagnes militaires napoléoniennes, de l'ordre du « je t'aime moi non plus », et connaissent depuis des cycles de rejet et d'attraction.

La Russie en effet fascine.

La Russie d'hier et d'aujourd'hui intrigue. La Russie suscite beaucoup d'ambivalences. Certains la sanctifient. D'autres la diabolisent. Le général de Gaulle qui n'appelait les Soviétiques que les « Russes », refusait de voir dans la Russie soviétique autre chose « qu'un avatar temporaire de la Russie éternelle et dans son gouvernement une forme modernisée d'une fatale autocratie ». C'est à l'étude de la profondeur historique, politique, culturelle, artistique et spirituelle de cette Russie éternelle, de cette Russie tsariste et de ses 4 siècles d'autocratie impériale, que le dernier ouvrage que vient de publier Pierre Gonneau aux éditions Tallandier s'attelle. Le titre choisi par ce grand spécialiste de la Russie, professeur à l'université Paris-Sorbonne, et directeur d'études à la section des sciences historiques et philologiques de l'École pratique des hautes études, annonce déjà l'ampleur de son programme : Histoire de la Russie, d'Ivan le Terrible à Nicolas II, 1547-1917. Il s'agit là d'une mine d'informations.

Une fresque historique qui met en scène brillamment les trois temps, long, moyen et court, de l'histoire russe. Une écriture qui allie le style romanesque aux exigences de l'historicité. Un style qui sait « emboîter », comme des poupées russes, les visages et les périodes, la grande et la petite histoire de la Russie éternelle. Tous les tsars y passent, les grands et les moins grands, les glorieux, les mystérieux, les effacés, les modestes, les illuminés et les raisonnables. Une fresque riche aussi en portraits de figures emblématiques de la Russie tsariste.

Ivan le Terrible, certes, en premier.

Cette ambivalente personnalité sans cesse tourmentée, qui fonde et associe, dans une folie démesurée, la terreur politique et une forme de radicalité mystique dont seuls les Russes connaissent le secret et la recette. Puis, en passant par la figure centrale de Pierre le Grand, le bâtisseur, qui regarde sans cesse vers l'Europe mais qui aussi incarne l'ambivalence russe sans cesse oscillant entre Orient et Occident. Comment ne pas évoquer non plus Catherine II, cette tsarine d'origine allemande, une poigne de fer dans un gant de velours, qui a su ne pas être pour les Russes cette « étrangère », mais celle qui a su épouser pleinement l'orthodoxie et se faire reconnaître par les Russes comme une des leurs. Puis vient la figure du tsar Alexandre II, l'homme policé, qui a osé l'affranchissement des cerfs, un des derniers grands tsars avant les secousses de l'empire avant de finir avec le dernier des tsars, Nicolas II, le dernier des Romanov à avoir trôné et qui a concentré dans l'inconscient russe toute la tragédie russe, la double image du tsar trônant et du tsar christique, qui vit le martyre, lui et sa famille dans des conditions dramatiques extrêmes.
La Russie éternelle, ses saints et ses démons !

Le livre de Gonneau (1) est une fresque qui suscite aussi une vraie réflexion sur les synthèses russes, opérées siècle après siècle, entre différentes confluences et inspirations, celles venant de l'Ouest, l'européenne, germanique et latine, catholiques et protestantes, celles venant du Sud, la byzantine et orthodoxe, et celles venant de l'Est, l'asiatique, mongole et tatare. Toute la Russie, d'hier et d'aujourd'hui, est dans ce creuset de ces différentes confluences. Le millefeuille russe se lit dans ces différentes strates historiques et sociopolitiques. L'ouvrage fournit aussi, et surtout, des grilles de lecture pour comprendre la Russie d'aujourd'hui, foncièrement tsariste aussi, à sa manière. Il nous renseigne sur les traits caractéristiques majeurs de cette Russie tsariste et sur le profil type marquant sa gouvernance politique. On y décèle les facteurs de continuité et les facteurs de rupture d'une telle gouvernance, autocratique et impériale, centrale et décentralisée, de ses stratégies d'influence et de sa géopolitique mentale. Il renseigne aussi sur les tensions universelles, spirituelles et culturelles, qui animent ses monarques et la projection, géopolitique et géostratégique, de leur influence dans le monde.

Le livre de Gonneau n'est pas qu'un livre d'histoire mais aussi des clés de décryptage utiles pour les grilles de lecture de l'actualité de la Russie d'aujourd'hui.

Le livre débute en effet par une question, comment devient-on tsar, en prolongeant la question par le récit historique du couronnement le 16 janvier 1547 du célèbre Ivan le Terrible avant d'affirmer que le changement est continuité en Russie et la continuité un changement. Les époques changent et les personnages. Le sous-jacent reste. « La Russie des tsars ou tsariste se perpétue jusqu'à l'abdication de Nicolas II, le 2 mars 1917. Ensuite, tout change... ou rien ne change. Staline a souvent été qualifié de tsar rouge et le Kremlin de Moscou est toujours le lieu du pouvoir par excellence. » Pour celles et ceux qui veulent opérer une lecture objective et dépassionnée de la Russie d'aujourd'hui, cette fresque historique que nous propose Pierre Gonneau serait d'une grande aide pour réfléchir, analyser, décrypter et s'interroger. Demeurent des interrogations qui parlent à l'aujourd'hui de la Russie. SUITE

1- Pierre GONNEAU est professeur à l’université Paris-Sorbonne et directeur d’études à la section des sciences historiques et philologiques de l’École pratique des hautes études.
La Russie éternelle, ses saints et ses démons !

Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 3 Juin 2017 à 13:10 | 4 commentaires | Permalien


Commentaires

1.Posté par Vladimir G: la diversité de la société russe le 22/07/2017 19:31
L'article "Trois-peuples-en-un" (http://www.egliserusse.eu/blogdiscussion/Trois-peuples-en-un-_a2691.html) fait une analyse intéressante qui montre la diversité de la société russe que d'aucun ont trop tendance à voir monolithique. Mais elle soufre d'un certain manichéisme, en mettant en avant des groupes extrêmes présentés comme représentatifs et ne donne aucune informations sur la place des populations décrites dans la société russe.

En fait les populations décrites sont très marginales: d'après les sondages publiés régulièrement, le peuple No 1, qui "confesse l’orthodoxie avec ses traditions et ses coutumes" représente moins de 5% de la population, le peuple No2 (religions hors orthodoxie) en représente 10% et le No 3 ("Homo Sovieticus" refusant l'Orthodoxie) a peu prés autant. et ou sont les 75% restants? Ils représentent toute un nuancier antre les No 1 et 3: si 95 % de la population fêtent le Nouvel an, 70-80 se considèrent comme Orthodoxes, 58% fêtent Noël selon le calendrier julien (4% selon le calendrier grégorien), 85% vont fêter Pâques, 30% vont marquer le Grand Carême mais seul 4% le respectent totalement...

L'exemple des avortements est aussi caractéristiques: ils représentaient le double des naissance jusque dans les années 1990, modèle typiquement soviétique où c'est considéré comme un moyen de contraception. Ils ont été divisés par quatre depuis pour représenter 50% des naissances en 2014 (25% en France).

Ainsi, si le peuple No 1 est effectivement très minoritaire, malgré qu'en aient les chantres du retour de la Sainte Russie (qui d'ailleurs n’existait pas non plus avant la révolution...), le reste de la société est clairement en voie de désoviétisation - lentement mais surement. Et je partagerait l'optimisme de l'auteur quant à la possibilité du triomphe d'une pensée orthodoxe, probablement ouverte aux autres et joyeuse, évidement avec l'aide de Dieu!

2.Posté par Vladimir G: Un point de vue du terrain différent de la Pensée Unique mediatique le 25/07/2017 14:07
LA RUSSIE RETROUVE LE CHRISTIANISME
Jean-Claude Guillebaud, journaliste, écrivain et essayiste publié le 24/07/2017

Serions-nous aveuglés par une lumière trop forte ? Il arrive qu’un événement survienne dont la portée est tellement « énorme » que nous oublions de le voir. C’est le cas de la Russie depuis l’effondrement (en 1991) de l’URSS. Je reviens d’un périple de 1600 kilomètres dans ce pays-continent (le plus vaste du monde) avec mon confrère Alain Frachon et l’historien Nicolas Werth, spécialiste de l’ex-URSS et du bolchevisme. Nous y avons accompagné une centaine de lecteurs du Monde, de La Vie, de L’Obs, et de Télérama. Onze jours de navigation sur la Volga, de Moscou à Saint-Pétersbourg. L’itinéraire – y compris un détour plus au nord, par la Carélie –, fut semé d’escales dans des bourgades et villages de la « Russie profonde ».

COMME UN ARBRE CACHE LA FORET, POUTINE NOUS CACHE LA RUSSIE.

TOUT CELA NOUS A TROUBLES, AU-DELA DE CE QUE NOUS IMAGINIONS. Nos débats incessants sur Poutine, légitimes, nous font oublier l’essentiel. Comme un arbre cache la forêt, Poutine nous cache la Russie. Je veux dire que, tout à nos querelles à son sujet, nous oublions de prendre en compte l’effervescence sociétale, culturelle, littéraire, spirituelle qui anime ce pays. Et quel pays ! La Russie (17 millions de km2) est deux fois plus grande que les États-Unis (9,6 millions de km2) alors qu’elle est deux fois moins peuplée (146 millions d’habitants contre 323 millions aux État-Unis).

COMMENT NE PAS ETRE FRAPPE PAR LE SPECTACLE DE CET IMMENSE « RETOUR » du christianisme orthodoxe, que trois quarts de siècle de bolchevisme avaient détruit. Des centaines de milliers de popes assassinés, des millions d’églises transformées en étables ou en granges à foin, des centaines de monastères démolis. Depuis l’effondrement de l’URSS en 1991, les Russes ont entrepris de rebâtir tout cela. Quand on parle chez nous de cette rechristianisation accélérée de la Russie, on veut n’y voir qu’une manœuvre de ¬Vladimir Poutine. Sur place, on voit bien qu’il est irréfléchi de raisonner ainsi.

CHEZ NOUS, LA RELIGION CATHOLIQUE A LONGTEMPS ETE PUISSANTE ET DOMINATRICE. EN RUSSIE, CE FUT L’INVERSE : LE CHRISTIANISME ORTHODOXE A ETE DUREMENT PERSECUTE.

CERTES POUTINE INSTRUMENTALISE A SON PROFIT la renaissance du christianisme orthodoxe. Il encourage même la lecture des penseurs et théologiens chrétiens comme Nicolas Berdiaev ou Ivan Iline, contraints jadis à l’émigration. Mais ce n’est pas lui ni ses affidés du Kremlin qui poussent les gens vers les milliers d’églises reconstruites dans tout le pays. De fait, dans chaque petite ville ou village où nous faisions halte, il n’était question que de reconstruction, restauration, consécration.

CE FUT LE CAS A OUGLITCH OU GORITZY et, plus spectaculaire encore, dans l’immense monastère de Saint-Cyril-du-Lac-Blanc fondé au XIVe siècle. Un peu partout, ici, on s’active à relever ces ruines monumentales. Les trois jours passés à Saint-Pétersbourg (l’ancienne Leningrad) nous ont permis de voir que la plupart des églises et cathédrales ont été « réouvertes au culte » au milieu des années 1990, quelques années à peine après la fin de l’URSS.

À NEGLIGER CETTE REALITE, ON SE CONDAMNE A NE PAS COMPRENDRE ce qui nous distingue aujourd’hui des Russes. Chez nous, la religion catholique a longtemps été puissante et dominatrice. En Russie, ce fut l’inverse : le christianisme orthodoxe a été durement persécuté. Il ressuscite aujourd’hui. Faut-il s’en plaindre ?

3.Posté par Vladimir G: 92% des Russes sont favorables à l'Orthodoxie contre 1% hostiles le 28/07/2017 10:40
92% des Russes sont favorables à l'Orthodoxie contre 1% hostiles

Un tout nouveau sondage du Centre Levada (https://www.levada.ru/2017/07/18/religioznost/,) confirme que l'Orthodoxie demeure la religion dominante en Russie: 60 % des sondés déclarent respecter cette religion (+ par rapport à 2013) et encore 32% (+6) la considèrent avec bienveillance alors que 1% seulement des sondés se déclarent hostiles (le sondage donne le détail des sentiments vis à vis des principales religions.) Le nombre de personnes se disant athées est passé de 26 à 13 % au cours des trois dernières années, tandis que ceux qui se déclarent "religieux" sont passés de 35 à 53 %.

58% des sondés sont contre l'influence de l'Église sur les décisions du gouvernement contre 285 qui y sont favorables; 39% pensent que ce niveau d'influence est optimal tandis que 23% la trouvent exagéré et 13% insuffisant... 79% approuvent l'interdiction administrative de l'activité des Témoins de Jéhovah tandis que 12% désapprouvent cette décision.

4.Posté par Vladimir G: Racoleur mais pas faux le 05/08/2017 12:27
Heureux comme Dieu dans la Russie de Poutine
Antoine Colonna
/ Samedi 5 août 2017 à 09:02 0

Russie. Valaam est l’un des sanctuaires les plus populaires de Russie. Un lieu exceptionnel où se rend fréquemment le président russe, conscient de l’importance des religions traditionnelles pour le redressement de son pays.

La foule s’est massée devant la cathédrale de la Transfiguration du Seigneur. Le patriarche Kirill, qui vient de célébrer deux heures et demie de liturgie pour la fête patronale, va sortir. Les cloches sonnent et le soleil rayonne au-dessus du lieu saint, formant comme une sphère bordée, pour un instant, d’un arc-enciel. Une rumeur parcourt la foule : « Il est là… », « Il vient souvent ici, mais on ne sait jamais vraiment », « Parfois, on le croise même sur une route au volant de sa voiture. » “Il”, c’est Vladimir Poutine. Le président russe, qui était bien présent ce jour, cultive une certaine discrétion quant à sa pratique religieuse. Ce matin-là, il a évité le bain de foule des pèlerins pour se glisser dans la partie basse de l’église et embrasser les reliques des saints fondateurs du lieu, saint Serge et saint Germain, et saluer le patriarche.
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Les Russes découvrent le plus souvent après plusieurs années ce que leur président a fait pour leurs églises. Valaam est une sorte de “mont Athos” du Nord, sur le lac de Ladoga, le plus grand d’Europe, au nord de Saint-Pétersbourg, à quelques kilomètres seulement de la frontière finlandaise. L’archipel de Valaam, rouvert à la vie monastique en 1989, abrite plusieurs ermitages appelés “skites”, l’un d’eux étant dirigé par un moine alsacien, le frère Séraphim, l’un des pères spirituels les plus charismatiques du lieu. Vladimir Poutine y profite d’un ermitage particulier où il se rend plusieurs fois par an. À l’intérieur, quatre moines écrivent des icônes, c’est le terme précis, et prient sans doute pour le chef de l’État, qui se confesse régulièrement. Dans le même skite, un appartement est également aménagé pour le chef de l’Église orthodoxe russe, Kirill, avec qui Poutine a fréquemment de longues conversations.

Vladimir Poutine, un acteur influent de la religion orthodoxe

Le président russe a joué de nombreuses fois un rôle important pour réunir des fonds destinés à la réhabilitation du sanctuaire. Le monastère est particulièrement soutenu par la Fondation Saint-André-le-Premier-Appelé, présidée par un proche du président, Vladimir Iakounine. Les deux hommes se sont rencontrés à Saint-Pétersbourg, il y a plus de vingt ans. Avec sa fondation, Iakounine effectue un travail important destiné à soutenir le renouveau de l’orthodoxie depuis la fin de l’Union soviétique. Une oeuvre qui selon lui « répond à un besoin profond des Russes de retrouver leurs racines, leur identité ». Il met à profit sa notoriété et ses fonds pour organiser régulièrement des pèlerinages, dont le plus célèbre est celui du “feu sacré”. Chaque année, un peu avant Pâques, il conduit une délégation qui ramène la lumière sainte qui s’allume de façon inexpliquée au coeur du Saint-Sépulcre de Jérusalem. La flamme est ensuite conduite à Moscou, dans un avion affrété par Gazprom, et donnée au patriarche pour la fête la plus importante des chrétiens. Le “feu sacré” est également envoyé aux quatre coins du pays et bien évidemment à Valaam. Le pèlerinage de Terre sainte est assez éprouvant mais, dans les cercles de pouvoir moscovite, il n’est pas exceptionnel de faire le voyage. Le retour à la foi orthodoxe après la fin du communisme est un fait majeur de la nouvelle Russie. Dariana, une guide de l’île de Valaam, qui vit sur place toute l’année, explique que le président vient souvent se recueillir ici, quelle que soit la saison : « Ce n’est pas feint. On ne peut pas simuler la foi comme ça, c’est trop profond. » La Fondation Saint-André a également organisé, en 2011, une tournée dans toute la Russie de la ceinture de la Vierge Marie, relique conservée au mont Athos. En ce début du mois de juillet, alors que l’on termine le carême des saints apôtres, l’un des quatre carêmes pratiqués dans l’orthodoxie, le président russe est donc venu pour la fête patronale, découvrant au passage une nouvelle statue de saint Vladimir, offerte par la fondation et un donateur ukrainien. Entre autres gestes symboliques, Poutine a fait construire un hospice pour pèlerins. Mais pas n’importe où. En Jordanie, sur les bords du Jourdain, non loin de sa source, où saint Jean a baptisé le Christ.

Le fait religieux en Russie, où trois quarts des Russes s’affirment orthodoxes (8 % de pratique régulière, 4 à 5 % pour les catholiques en France) n’est pas que religieux stricto sensu, il participe aussi de la politique au sens propre, la vie de la cité. L’administration présidentielle encourage le retour à la tradition orthodoxe, car elle sait que c’est la colonne vertébrale de l’identité nationale. Même Staline avait dû s’en servir pour vaincre les nazis et sortir les vieux popes des prisons. Au XXIe siècle, Vladimir Poutine, qui a été baptisé en secret par sa mère et porte toujours sur lui une petite croix qu’elle lui a offerte et qu’il a fait bénir au Saint-Sépulcre, ne renie rien de la foi de ses pères. Une croix à laquelle il tient d’autant plus qu’elle a survécu à l’incendie de sa datcha de Saint-Pétersbourg dans les années 1990. Au sein de l’orthodoxie, Poutine pèse même de tout son poids pour gommer les tensions entre les différentes Églises, réussissant à rétablir, en 2007, la communion entre le patriarcat de Moscou et l’Église russe hors frontières, séparés depuis la révolution bolchévique. Même les vieux-croyants, le courant le plus ancien de l’orthodoxie, persécutés à l’époque de Pierre le Grand pour avoir refusé la réforme liturgique du XVIIe siècle, sont bien traités dans la nouvelle Russie, une première depuis Nicolas II, le dernier tsar, canonisé par le patriarcat de Moscou et prié aujourd’hui avec ferveur. Un grand pèlerinage réunissant plusieurs dizaines de milliers de personnes a d’ailleurs été organisé le 17 juillet dernier à Iekaterinbourg, lieu du martyre de la famille impériale, il y a tout juste quatre-vingt-dix-neuf ans.

Le judaïsme et l’islam sont aussi appelés à jouer un rôle structurant

Pourtant, si l’orthodoxie occupe une place de quasi-religion d’État, les autres religions “traditionnelles” de Russie, en particulier le judaïsme et l’islam, sont également invitées à jouer leur rôle structurant. Le grand rabbin de Russie, Berel Lazar, ne tarit pas d’éloges sur Poutine, parlant d’âge d’or du judaïsme en Russie, qui n’a jamais été aussi bien traité de son histoire. Même l’antisémitisme, qui était une réalité dans certains milieux russes, disparaît, et le sujet est l’objet de l’attention des organes de justice. Pour ce qui est de l’islam, Moscou a bien conscience que les musulmans sont près de 20 millions en Russie. La grande majorité d’entre eux est authentiquement russe et ne connaît pas de déchirement identitaire. Il faut pourtant suivre avec attention cette communauté, notamment celle qui vient d’Asie centrale. Ce n’est sans doute pas un hasard si Vladimir Poutine a inauguré la grande mosquée de Moscou en 2015, la veille même de son ordre de frapper les djihadistes en Syrie. C’est la même stratégie qui a permis de chasser l’islam salafiste du Nord-Caucase et en particulier de Tchétchénie, où le Kremlin a favorisé l’islam traditionnel, finançant même à Grozny, sur le modèle de la mosquée bleue d’Istanbul, l’un des plus grands lieux de culte musulman d’Europe, capable d’accueillir 10 000 fidèles.

Il n’est pas rare de comparer Poutine à un tsar. Aujourd’hui, au sein de l’Église orthodoxe, et au plus haut niveau, certains, comme le métropolite Hilarion et d’autres, se disent ouverts à l’idée d’une restauration monarchique qui est, pour certains, la véritable identité politique de la Russie.

De notre envoyé spécial à Valaam et Saint-Pétersbourg,

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