Nikita Krivochéine: L'Archevêché Daru, une étoile qui risque de s'éteindre
Une interview à propos de la décision prise par Constantinople

Où doit se régler le sort des paroisses russes en Europe occidentales ? À Paris ou à Constantinople ?

Par décision en date du 27 novembre 2018, le synode du patriarcat de Constantinople a dissous l’Archevêché des églises russes en Europe occidentale, ses 65 paroisses devront intégrer des métropoles de l’Église de Constantinople. Créé en 1931 par le métropolite Euloge (Gueorgievsky), l’Archevêché, placé sous juridiction de Constantinople, regroupait les immigrants russes de la première vague postrévolutionnaire qui souhaitaient entretenir en Europe les traditions orthodoxes russes.

Le 15 décembre l’assemblée pastorale de l’Archevêché a décidé de réunir le 23 février 2019 à Paris l’Assemblée générale qui doit soit accepter la décision de Constantinople soit envisager un autre destin.

Nous présentons ici l’interview que nous a accordée Nikita Krivochéine, personnalité de l’immigration russe et l’un des fondateurs du Mouvement pour une orthodoxie locale de tradition russe en Europe occidentale.

— Cette décision du patriarcat de Constantinople de dissoudre l’Archevêché a été une surprise pour vous ? Pourquoi la réaction de l’Archevêché est-elle si tardive ?

— Ça a été une surprise : l’Église n’a pas souvent recours à la chirurgie, c’est pourquoi elle semble souvent si nonchalante. Réagir de façon opérationnelle à une précipitation si aberrante n’est pas aisé ; les bras de l’archevêque Jean lui en sont tombés, il n’était absolument pas au courant. Ces dernières années, les relations de l’Archevêché avec tout le monde se sont même apaisées : des célébrations communes ont eu lieu avec le diocèse de Chersonèse, de nombreux prêtres et laïcs de l’Archevêché ont pris part à la consécration de la cathédrale de la Sainte-Trinité à Paris, l’archevêque Jean et le métropolite Emmanuel de Gaule ont concélébré avec le patriarche Cyrille. Et tout à coup le Phanar lance ses foudres et le tonnerre.

— Qu’en pensez-vous, pourquoi maintenant justement ? Qu’est-ce qui a poussé le Phanar à cette décision ?


— L’Archevêché est devenu, comme qui dirait un panier sans anse, pas facile à porter… Il faut se souvenir qu’en 2003 il y a eu la missive du patriarche Alexis qui proposait la réunification. Qui garantissait à l’Archevêché le statut d’exarchat dans son intégrité et une grande autonomie. Daru a envoyé à Moscou une réponse plus que sèche, ensuite, en 2007, après que l’Église orthodoxe russe hors-frontières a rejoint l’Église orthodoxe russe, quand le patriarche Alexis a effectué une importante visite à Paris, il n’a même pas été convié à officier dans la cathédrale Saint-Alexandre-Nevski. Bien des années ont passé, on a agi de même avec le métropolite Hilarion. Quand la fiancée se trouve trop belle, les prétendants se lassent… On a laissé tomber, on a construit la nouvelle cathédrale au bord de la Seine, on a fondé un séminaire. La vie paroissiale dans le diocèse de Chersonèse suit son cours…

— Quelle a été la réaction en France à cette dissolution de l’Archevêché, pour les orthodoxes et les croyants d’autre confession ?

— Les croyants d’autre confession ne s’en sont certainement pas aperçu, mais pour « la population » de l’Archevêché ça a été un sacré coup.

Pourtant il faut dire que c’est la suite naturelle de l’histoire de cet exarchat : le paradoxe de son statut était évident dès 1991. Comme je l’ai dit en son temps, avec leurs traditions les gens merveilleux de l’Archevêché ont rejoint petit à petit le cimetière de Sainte-Geneviève-des-Bois.

C’est maintenant la diaspora moldave qui prie à la cathédrale de la rue Daru ; le célèbre Institut Saint-Serge survit dans des difficultés financières et existentielles. On a noirci beaucoup de papier à ce sujet. Comment est-ce qu’ils vont se sortir de ce pétrin, personne ne le sait. Il semblerait que le plus logique serait que Saint-Serge unisse ses efforts à ceux des nombreux théologiens et historiens qui sont apparus ces derniers temps en Russie, avec le secours des Instituts Saint-Tikhon et Saint-Philarète où il y a des gens qui respectent l’école de Paris et en ont gardé le souvenir. Mais, me semble-t-il, pour établir une collaboration avec l’Église russe, il n’y a pas actuellement à l’Archevêché quelqu’un autour de qui tous se réuniraient, il n’y a pas de volonté de surmonter tous ces arriérés et de tout résoudre « en grand conseil ».
Il y a plusieurs approches, et de nombreux ressentiments, de nombreuses craintes dont tout dépend.

Il n’y a même plus dans le clergé cet espoir de normalisation tant attendue, on se croirait à la période de stagnation brejnévienne. Les paroissiens sont dans cette apesanteur bien connue des astronautes.

— L’Archevêché a refusé d’appliquer la décision de Constantinople et il se trouve maintenant, comme dans le conte russe, à la croisée des trois chemins, rejoindre : soit le patriarcat de Moscou avec une importante autonomie, soit l’Église roumaine, soit l’Église orthodoxe russe hors-frontières. Quel choix est la plus vraisemblable, quelle solution serait la meilleure ?

— L’Église roumaine, excusez-moi, dans le contexte actuel ça n’a ni queue ni tête. J’ai même du mal à imaginer qu’on puisse y songer. Et pourquoi pas non plus l’Église d’Antioche ou l’Église orthodoxe en Amérique ?

Le choix le plus judicieux serait, puisqu’il est question de « tradition russe », d’intégrer l’Église orthodoxe russe hors-frontières.
La structure que désignons sous le terme « Archevêché » soutient hors de l’eau la tête d’un flux massifs d’immigrants venu de Bessarabie, entre autres.

Quoi qu’il en soit, la répartition des paroisses se fera selon des critères linguistiques. Je pense que dans bien des cas ce sont les paroisses qui décideront où elles iront. Dans l’orthodoxie (tout particulièrement dans l’émigration) la force d’inertie est considérable. Rares sont les paroissiens, et même les recteurs, qui ont en tête la haute mission de Daru.

Depuis 1991, une évolution importante s’est produite dans la conscience de l’ancienne émigration. Beaucoup ont pu se rendre pour la première fois dans la Russie qu’ont quittée leurs ancêtres. L’indépendance de décision dans de nouvelles situations résulte d’une longue et pénible recherche de soi. Il y a eu des tombereaux d’erreurs et de la part de l’Église orthodoxe russe et de la part de l’Archevêché.

Il est bien difficile de donner des conseils. Moi, je laisserais l’Archevêché boire sa coupe jusqu’à la lie. Je ne les convierais pas, je ne chercherais pas à les influencer. C’est leur choix et leur destin, eux seuls peuvent prendre des décisions : jusqu’ici a œuvré le pouvoir du peuple établi sous le patriarcat de Tikhon en 1917-1918.

Traduction M-G. F. Lien en russe : STOL Искры русского православия могут погаснуть
Nikita Krivochéine: L'Archevêché Daru, une étoile qui risque de s'éteindre

Где решится судьба русских приходов Западной Европы: в Париже или в Константинополе?

Решением Синода Константинопольского патриархата 27 ноября 2018 года была упразднена Архиепископия русских церквей в Западной Европе с дальнейшей интеграцией её 65 приходов в митрополии Константинопольской церкви. Основанная в 1931 году митрополитом Евлогием (Георгиевским), Архиепископия объединяла эмигрантов первой послереволюционной волны, стремившихся быть продолжателями традиций русского православия в Европе и принятых тогда в Константинопольскую юрисдикцию.

15 декабря на пастырском собрании Архиепископии было принято решение собрать 23 февраля 2019 года в Париже общее епархиальное собрание, чтобы согласиться с Константинополем или выбрать иной путь.

Интервью с Никитой Кривошеиным, деятелем русской эмиграции, учредителем «Движения за поместное православие русской традиции в Западной Европе».

– Указ, которым Константинопольский патриархат решил распустить Архиепископию, – это неожиданность для вас? Почему такая медленная реакция Архиепископии?

– Да, неожиданность: церковь нечасто прибегает к хирургии. Отсюда и кажущаяся замедленность. Оперативно реагировать на внезапную бездомность непросто. Сам архиепископ Иоанн был обескуражен таким решением, его об этом никто не предупреждал. За последние годы в Архиепископии установился скорее мир со всем миром: проходили сослужения с Корсунской епархией, на освящение Свято-Троицкого собора в Париже пришло очень много клириков и прихожан с Дарю, сам владыка Иоанн, да и митрополит Гальский Эммануил сослужили вместе с патриархом Кириллом. И вдруг – гром и молнии с Фанара.

– Как вы думаете, почему это произошло именно сейчас? Чем, на ваш взгляд, обусловлен этот шаг Фанара?

– Архиепископия стала для Константинополя, как иногда говорят, «чемоданом без ручки» – нести неудобно… Напомню, что в 2003 году было послание патриарха Алексия с предложением объединиться. Архиепископии как экзархату были гарантированы целостность и максимальная свобода. Но тогда последовал довольно резкий отказ Москве с Дарю, и потом, когда в 2007 году после объединения РПЦ и РПЦЗ патриарх Алексий приехал с большим визитом во Францию, его даже не пригласили послужить в соборе Александра Невского. Прошло несколько лет, и точно так же поступили с митрополитом Иларионом. Сколько же можно посылать сватов к невесте-бесприданнице? Махнули рукой, построили собор на берегу Сены, основали семинарию, приходская жизнь Корсунской епархии идёт своим чередом.

– Какова реакция во Франции на известие о ликвидации Архиепископии для православных и верующих других конфессий?

– Верующие других конфессий вряд ли заметили это событие, а «население» Архиепископии застигнуто врасплох. Хотя, казалось, всем ясно, что история экзархата завершена: парадоксальность статуса возникла ещё в 1991 году. Как я уже когда-то говорил, Архиепископия с её традициями, её замечательными людьми постепенно переместилась на кладбище Сент-Женевьев де Буа. Собор на Дарю заполнился молдавской диаспорой, а знаменитый Свято-Сергиевский институт продолжает пребывать в глубоком финансовом и многолетнем экзистенциальном кризисе. На эту тему исписано много бумаги. Как они будут из этого оврага выкарабкиваться, не знает никто. Казалось бы, самое логичное – Сен-Сержу соединить усилия с русскими богословами, историками, которые появились за эти годы в России. Есть примеры Свято-Тихоновского и Свято-Филаретовского институтов, которые могли бы помочь. Кто как не эти люди помнят и чтут традицию Парижской школы. Но для налаживания сотрудничества с Русской церковью, на мой взгляд, сейчас в Архиепископии нет человека, вокруг которого бы все объединились, нет воли преодолеть все эти завалы и всё решить «в совете многом», а есть разные подходы, много обид, страхов, которым всё и подчинено.

Надежд на долгожданную нормализацию положения уже не наблюдается даже у клириков – похоже на брежневский застой. Прихожане же испытывают невесомость, в коей пребывают космонавты.

– Архиепископия отказалась исполнять указ и оказалась на распутье, где, как в русской сказке, три дороги: в Московскую патриархию с широкими правами автономии, в Румынскую церковь или в РПЦЗ. Какой из этих путей наиболее вероятен? Какое решение было бы самым верным?

– Румынская юрисдикция, простите, в данном контексте «в Киеве дядька». Мне даже странно, что такое можно рассматривать. Почему не Антиохия или Православная церковь Америки? Оптимальный путь – коли речь о «русской традиции» – это, возможно, войти в РПЦЗ.

Сейчас структуру, которую мы называем «Архиепископией», держит на плаву массовый приток новых мигрантов из Бессарабии и не только. В любом случае деление приходов останется по языковому принципу. Думаю, что некоторые приходы будут сами решать, в какую сторону им идти. В православии очень сильна инерция (в эмигрантских приходах особенно). Редкие прихожане, да и редкие настоятели сегодня думают о возвышенной миссии Дарю.

За период с 1991 года произошла огромная эволюция в сознании старой эмиграции. Многие впервые посетили Россию, из которой уехали их предки. Самоопределение в новых обстоятельствах – это результат долгих и мучительных поисков себя. Ошибок был воз со всех сторон: и РПЦ, и Архиепископии.

Советы давать трудно. Я бы просто оставил Архиепископию испить до конца эту чашу. Никуда бы их не зазывал, не уговаривал. Это их путь и судьба, сегодня только они могут сделать свой выбор: до сих пор народовластие, установленное при патриархе Тихоне в 1917–1918 годах, действовало.

Lien en russe STOL

Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 3 Février 2019 à 14:50 | 23 commentaires | Permalien



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