Vladimir Lossky : Crucifixion (partie II )
Par Vladimir Lossky, Göttingen 1903–Paris 1958

LA CROIX

La victoire sur la mort et l’enfer est symbolisée par une caverne qui s’ouvre au pied de la Croix, sous le sommet rocailleux du Golgotha, le rocher fendu au moment de la mort du Christ laissant apparaître une tête de mort. C’est le crâne d’Adam qui « d’après la croyance de quelques-uns », dit Saint Jean Chrysostome (1), aurait été enterré sous le Golgotha – « lieu du crâne» (2). Si la tradition iconographique a adopté ce détail venant de sources apocryphes, c’est qu’il servait à faire ressortir le sens dogmatique de l’icône de la Crucifixion : la rédemption du premier Adam par le sang du Christ, nouvel Adam, Dieu qui se fit homme pour sauver le genre humain.
La Croix est à trois traverses – forme qui répond à une tradition très ancienne, considérée comme la plus authentique en Orient, comme en Occident (3) La traverse supérieure correspond au phylactère avec l’inscription indiquant le sujet de la condamnation. La traverse inférieure est un escabeau (le suppedaneum) auquel les pieds du Christ sont cloués avec deux clous.

Horizontal sur notre icône, le suppedaneum des croix et des icônes russes de crucifixion est oblique. Cette inclinaison de la traverse inférieure, montant du côté droit du Christ, descendant à sa gauche, reçoit un sens symbolique – celui du jugement : justification du bon larron et damnation du mauvais larron(4)

Le fond architectural derrière la Croix représente le mur de Jérusalem.
On le trouve déjà sur le panneau de Sainte-Sabine (VIe s.). Ce détail non seulement répond à la vérité historique, mais il exprime, en même temps, un précepte spirituel: comme le Christ a souffert hors de l’enceinte de Jérusalem, les chrétiens doivent le suivre et sortir hors des murs, en portant son opprobre, «car nous n’avons point ici-bas de cité permanente, mais nous cherchons celle qui est à venir» (5)
La partie supérieure de la Croix, avec les bras étendus du Christ, se détache sur le fond du ciel. La crucifixion en un lieu découvert dénote la portée cosmique de la mort du Christ, qui « purifia les airs » et libéra l’univers entier de la domination démoniaque (6)

La composition de l’icône est équilibrée et sobre.
Les gestes des personnes qui assistent à la mort du Seigneur sont modérés et graves. La place de la Mère de Dieu est à la droite du Christ. Elle se tient droite en resserrant son manteau sur l’épaule, par un geste de la main gauche, tandis que sa main droite est levée vers le Christ ; le visage exprime une douleur contenue par la foi intrépide. Il semble que, s’adressant à Saint Jean bouleversé, la Mère de Dieu l’appelle à contempler avec elle le mystère du salut qui s’accomplit dans la mort de son Fils. L’attitude de Saint Jean, la tête inclinée en avant, exprime aussi une grande douleur maîtrisée. Dans certaines icônes de la Crucifixion, la sainte femme et le centurion (sans nimbes) se tiennent derrière la Mère et le disciple.

La première a les traits contractés par la douleur, la main gauche appuyant la joue, dans un geste de lamentation, le deuxième – un homme barbu, coiffé de voile blanc – regarde le Crucifié et confesse sa divinité, en levant la main droite vers le front, comme s’il voulait se signer : les doigts sont pliés dans un geste rituel de bénédiction. Le nom du Centurion – Longinos – est marqué au-dessus de sa tête. L’inscription en haut désigne le sujet de l’icône : la Crucifixion.
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Cet article a été publié en 1957 dans le Messager de l’exarchat du patriarche russe en Europe occidentale, n° 26, p. 68-71 et dans le numéro 14 (mars-avril 2009) du "Messager de l'Église orthodoxe russe", pages 13-17
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Notes:

1 (Sur Saint Jean, homélie 85, 1: PG 59, 459.)
2 (Jn 19, 17)
3 Au XIIIe siècle encore, le pape Innocent III la préconise dans un sermon: Sermo in communi de unomartyre, IV: PL 217, 612
4 (Cf. l’office byzantin dumercredi àmatines, Octoèque, ton 8: la Croix est comparée à une balance de justice).
5 (He 13, 11-14)
6 (Cf. Saint Athanase, De l’incarnation, 25: PG 25, 140; Saint Jean Chrysostome, Sur la Croix et le larron, homélie 2: PG 49, 408-409).




Rédigé par Vladimir GOLOVANOW le 7 Avril 2013 à 03:53 | 0 commentaire | Permalien



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