LES DEUX SIGNIFICATIONS DE LA COMMUNION

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Il n’y a aucune célébration de l’Eucharistie les jours de jeûne, parce que le célébration est un mouvement continu de joie ; mais il y a présence continue des fruits de l’Eucharistie dans l’Église. De même que le Christ " visible ", monté aux cieux, reste pourtant invisiblement présent dans le monde, de même que la Pâque, célébrée une fois l’an, illumine de ses rayons toute la vie de l’Église, de même que le Royaume de Dieu encore à venir est cependant déjà parmi nous, ainsi en est-il de l’Eucharistie. En tant que sacrement et célébration du Royaume, en tant que Fête de l’Église, elle est incompatible avec le jeûne et n’est pas célébrée durant le Carême ; mais en tant que grâce et puissance du Royaume qui sont à l’oeuvre dans le monde, en tant qu’elle nous fournit la " nourriture essentielle " et qu’elle est notre arme dans la lutte spirituelle, elle est au centre même du jeûne ; elle est vraiment la manne céleste qui nous garde vivants dans notre voyage à travers le désert du Carême.

LES DEUX SIGNIFICATIONS DU JEÛNE

Ici, une question se pose : si l’Eucharistie est incompatible avec le jeûne, pourquoi donc sa célébration est-elle encore prescrite les samedis et dimanches de Carême, et ceci sans " rompre " le jeûne ? Les Canons de l’Église semblent ici se contredire. Tandis que les uns interdisent de rompre le jeûne en aucun des quarante jours. Cette contradiction cependant n’est qu’apparente, car les deux règles qui semblent s’exclure mutuellement, se réfèrent à deux significations différentes du terme " jeûne ". Il importe de le comprendre, parce que c’est là que se trouve le " philosophie " du jeûne orthodoxe, essentielle à tout notre effort spirituel.

Il y a en effet deux façons de jeûner, enracinées toutes deux dans l’Écriture et la Tradition, et qui correspondent à deux besoins distincts, à deux états de l’homme. Le premier peut être appelé : jeûne total, car il consiste en une totale abstinence de nourriture et de boisson. On peut définir le second comme un jeûne ascétique, car il consiste surtout en l’abstinence de certaines nourritures et en une réduction substantielle du régime alimentaire.

Le jeûne total, de sa nature même, est de courte durée et généralement limité à un jour ou même à une partie de la journée. Dès le début du Christianisme, il fut compris comme un état de préparation et d’attente, comme un état de concentration spirituelle sur ce qui va arriver. La faim physique correspond ici à l’attente spirituelle de l’accomplissement, à " l’ouverture " de tout l’être à la joie qui approche. C’est pourquoi, dans la tradition liturgique de l’Église, nom trouvons ce jeûne total comme dernière et ultime préparation a une grande fête, à un événement spirituel décisif, par exemple aux veilles de Noël et de l’Épiphanie ; et surtout, c’est ce jeûne qui constitue le jeûne eucharistique, mode essentiel de notre préparation au banquet messianique, à la table du Christ dans son Royaume. L’Eucharistie est toujours précédée de ce jeûne total, qui peut varier dans sa durée, mais qui, pour l’Église, constitue une condition nécessaire à la sainte Communion.

Beaucoup de gens comprennent mal cette règle ; ils n’y voient rien d’autre qu’une prescription archaïque et s’interrogent sur la nécessité préalable d’un estomac vide pour recevoir le sacrement. Si l’on réduit cette règle a un sens aussi physique et grossièrement physiologique, et qu’on la considère comme une simple discipline, elle perd naturellement sa véritable signification. Ainsi, il n’est pas étonnant que le Catholicisme romain qui, depuis longtemps, a remplacé la conception spirituelle du jeûne par une compréhension juridique et disciplinaire, ait, de nos jours, pratiquement aboli le jeûne eucharistique. Dans sa véritable signification cependant, le jeûne total est la principale expression de ce rythme de préparation et d’accomplissement dont vit l’Église, car elle est à la fois attente du Christ en " ce monde " et entrée dans le " monde à venir ". Nous pouvons ajouter ici que, dans la primitive Église, ce jeûne total portait un nom emprunté au vocabulaire militaire : il était appelé " station ", ce qui évoquait une troupe en état d’alerte et de mobilisation. L’Église " monte la garde ", elle attend l’Époux, elle l’attend dans l’empressement et la joie. Ainsi, le jeûne total n’est pas seulement un jeûne des membres de l’Église, c’est l’Église elle-même en tant que " jeûne ", en tant qu’attente du Christ qui vient à elle dans l’Eucharistie et qui viendra en gloire à la consommation des siècles.

Tout a fait différent est le sens spirituel du second type de jeûne que nous avons défini comme jeune ascétique : Ici, le but du jeûne est de libérer l’homme de la tyrannie déréglée de la chair, qui s’établit lorsque l’esprit cède devant le corps et ses appétits, résultat tragique du péché et de la chute originelle de l’homme. C’est seulement par un lent et patient effort que l’homme découvre qu’il ne vit pas seulement de pain, et restaure en lui-même la primauté de l’esprit. Le facteur temps est essentiel, car il faut du temps pour déraciner et guérir la maladie commune et universelle que les hommes ont fini par considérer comme leur état normal. L’art du jeûne ascétique a été affiné et perfectionné à l’intérieur de la tradition monastique, puis adopté par l’Église entière. Il est l’application à l’homme des paroles du Christ disant que les puissances diaboliques qui asservissent l’homme ne peuvent être vaincues que par la prière et par le jeûne (Mc 9,29). Il est fondé sur l’exemple du Christ lui-même, qui jeûna quarante jours, puis rencontra Satan face à face et, dans cette rencontre, détruisit la sujétion de l’homme aux nourritures terrestres, inaugurant ainsi la libération de l’homme (cf. Mt 4,1-11).

L’Église a mis à part quatre périodes de ce jeûne ascétique : les périodes précédant Pâques, Noël, la Fête des saints Pierre et Paul, et la Dormition de la Mère de Dieu. Quatre fois par an, elle nous invite à nous purifier et à nous libérer de la domination de la chair par la sainte thérapie du jeûne. Et chaque fois, le succès de celle-ci dépend précisément de l’application de certaines règles fondamentales dont la principale se trouve être l’ininterruption du jeûne, sa continuité dans le temps.
C’est cette distinction entre les deux modes de jeûne qui nous aide à comprendre la contradiction apparente entre les canons qui règlent le jeûne. Le canon qui interdit de jeûner le dimanche signifie que, ce jour-là, le jeûne est " rompu " avant tout par l’Eucharistie elle-même, qui comble l’attente, attente qui, étant le but de tout jeûne, est aussi sa fin. Cela signifie en d’autres termes que le dimanche, le Jour du Royaume, n’appartient pas à ce temps qui en Carême revêt plus précisément le caractère de pèlerinage et de voyage. Le dimanche reste ainsi un jour non de jeûne, mais de joie spirituelle.

Cependant, si l’Eucharistie rompt le " jeûne total ", elle ne rompt pas le " jeûne ascétique " qui, comme nous l’avons déjà expliqué, requiert de par sa nature, la continuité de l’effort. Cela veut dire que les règles alimentaires qui régissent le jeûne ascétique restent en vigueur le dimanche, en Carême ; pratiquement, viandes et graisses sont interdites, mais cela, seulement à cause du caractère " psychosomatique " du jeûne ascétique, parce que l’Église sait que, si on veut dompter le corps, il faut le soumettre à une longue et patiente discipline d’abstinence. En Russie, par exemple, les moines ne mangeaient jamais de viande ; mais ceci ne signifiait pas qu’ils jeûnaient à Pâques ou à tout autre grande fête. On peut dire qu’un certain degré de jeûne ascétique appartient à la vie chrétienne comme telle, et que les chrétiens doivent le conserver. [...]

Il faut donc bien comprendre qu’il n’y a aucune contradiction entre l’insistance de l’Église à maintenir l’abstinence de certains aliments les dimanches de Carême et sa condamnation du jeûne le jour où l’on célèbre l’Eucharistie. Il est clair aussi que c’est seulement en suivant les deux règles, en gardant simultanément le rythme eucharistique de préparation et d’accomplissement et l’effort soutenu des " quarante jours qui sauvent l’âme " que nous pouvons atteindre vraiment les buts spirituels du Carême.

Tout ceci nous amène maintenant à la Liturgie des Présanctifiés, qui tient une place spéciale dans le culte en Carême.

Source et suite: PAGES ORTHODOXES
Extrait d’Alexandre Schmemann,
Le Grand Carême : Ascèse et Liturgie dans l’Église orthodoxe.
Éditions de l’Abbaye de Bellefontaine, 1974-1999.
Reproduit avec l’autorisation des
Éditions de l’Abbaye de Bellefontaine.

Voir aussi le texte complet de la Divine Liturgie des Saints Dons Présanctifiés


Rédigé par Vladimir GOLOVANOW le 21 Mars 2012 à 08:32 | 0 commentaire | Permalien



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